Exilés, réfugiés, migrants ? Réflexions sur l’importance des termes

Les mots ont une histoire, un sens ; leur usage, davantage encore lorsqu’il est question de personnes pour qui les droits essentiels sont si souvent niés, doit être regardé avec la plus grande vigilance.

Nous souhaitons dans cet article expliquer les raisons de nos choix et mettre des définitions et nos réflexions à disposition, pour que chacun·e puisse à son tour penser cette question.

Afin que les éléments puissent être réfléchis, nous avons souhaité expliquer certains fonctionnements ou dysfonctionnements. Les personnes coutumières des procédures pourront directement aller lire la partie Réflexions en conclusion.

Migrants

Le mot migrants n’a pas toujours été utilisé dans son acception actuelle. Apparaissant en 1939 dans le langage politique, il désignait alors les travailleurs migrants, comprendre par là les personnes étrangères venues en France pour travailler. Nous parlons ici d’une époque où l’accès au travail était beaucoup plus simple qu’il ne l’est aujourd’hui pour des personnes étrangères en France — sans pour autant que les emplois occupés ne fussent plus valorisants ; néanmoins, toutes les restrictions liées à l’autorisation de travail pour les personnes étrangères et la régularité du séjour ne se posaient guère, dans un contexte de plein emploi et de besoin de main-d’œuvre.

Migrants, comme les déclinaisons de sa racine latine migrare (migrer) : immigrés, émigrer, immigration… impliquent que les personnes sont en mouvement d’un point A à un point B. Si l’acception initiale voulait désigner uniquement les travailleurs et n’étaient employés que dans des conventions réglementaires, son usage s’est aujourd’hui fortement éloigné, élargi et dégradé.

Le mot, d’adjectif devient nom, et son usage croît à mesure que l’extrême droite s’en gargarise. L’année 2015 voit l’explosion médiatique du phénomène migratoire — qualifié de crise par les politiques et les médias, alors qu’il ne s’agit là que d’un phénomène, immuable depuis toujours et qui continuera toujours. L’extrême droite, prompte à renouveler son vocabulaire dès qu’il est question de vilipender, adopte rapidement le terme de migrants et en fait un usage si répandu qu’il en devient entêtant et nauséeux ; ils voient des migrants partout et responsables de tout, dans leur acception le migrant remplace leur ancien terme clandestin (comprendre : personne en situation irrégulière sur le territoire français). Ils vont même parfois jusqu’à aligner les deux : migrants clandestins.

Comme toujours et comme nous ne pouvons que le déplorer, les médias et les forces politiques suivent ce tempo initié par l’extrême droite. Tout à coup, il est question de migrants ici et là, dans les articles, dans les discours, dans les propositions de lois.

Le grand public, peu initié ou totalement novice, reprend le terme dont on l’abreuve.

Demandeurs d’asile

Une personne qui arrive sur le territoire français et qui souhaite que la France lui accorde sa protection, peut demander l’asile. Ces personnes seront demandeuses d’asile. Il est de la responsabilité de l’État de traiter toutes les demandes d’asile qui lui sont faites, de donner un hébergement et une allocation de subsistance à toute personne qui demande l’asile, le temps de l’instruction de sa demande. Dans les textes.

Ces demandes sont éclatées en trois services : les préfectures (via les SPADA (plateformes d’accueil des demandeurs d’asile)) traitent l’enregistrement de la demande d’asile, ainsi que la délivrance et le renouvellement de l’attestation de demande d’asile, document qui autorise la personne à séjourner en France le temps de l’instruction de sa demande.

L’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) gère la répartition dans les différents centres d’hébergement sur tout le territoire – via des associations délégataires de service public –, ainsi que la distribution – via des sous-traitants privés – des cartes permettant de recevoir l’ADA (allocation de demandeur d’asile), chaque personne seule recevant l’équivalent de 200 € par mois environ.

L’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) gère l’instruction de la demande d’asile, depuis le recueil du récit de la personne à l’écrit, jusqu’à sa convocation pour un entretien et la décision finale lui accordant ou non « l’asile ».

Dans les faits, plus de 50 % des demandeurs d’asile ne sont pas hébergés par l’OFII (données fin 2019). Un nombre toujours plus croissant ne perçoivent aucune allocation mensuelle pour des prétextes fallacieux qu’il faut combattre juridiquement durant des mois et, lorsque l’OFII a par bonheur injonction de rétablir les conditions matérielles d’accueil (un hébergement et une allocation), l’OFII ne se plie pas aux décisions de justice.

Enfin, l’OFPRA est censée traiter une demande d’asile normale dans un délai de 6 mois. Ce délai peut atteindre 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans…

Concernant l’usage du terme demandeurs d’asile, nous observons qu’il est très peu usité par le grand public, hormis de nouveau par l’extrême droite lorsqu’il s’agit de déployer des fausses informations concernant leur nombre ou l’argent qu’ils perçoivent mensuellement. Les médias l’emploient peu également, uniquement dans des articles spécifiquement consacrés aux demandeurs d’asile, ou souvent à tort, ne sachant pas faire la différence entre les différentes catégories (voir Réflexions).

Réfugiés

Les personnes réfugiées sont les personnes qui ont demandé l’asile et ont obtenu une réponse positive de l’OFPRA (ou bien avaient obtenu une réponse négative, mais ont fait un recours devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) et ont gagné ce recours).

Une personne réfugiée obtient ce statut car la France a reconnu qu’elle craignait « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » dans son pays (Convention de Genève, art. 1er A2).

De nombreuses personnes ne relèvent pas directement de ce statut, mais bénéficient de la protection subsidiaire, car « il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'(elles) courrai(en)t dans (leur) pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves » que sont la peine de mort, l’exécution, la torture, des peines ou traitements humains dégradants ou enfin une menace individuelle en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé. (art. L 7112-1 du CESEDA)

Ces personnes, réfugiées ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, obtiennent des cartes de séjour, ont le droit de travailler, peuvent faire venir leur famille (conjoint·e, enfants) en France (si préalablement mariées avant l’obtention de leur statut).

Le mot réfugiés est très fréquemment employé, mais la fréquence de ces usages – qui diffèrent – nous amènera à les étudier dans nos Réflexions.

Sans papiers

Les personnes sans papiers n’ont aucun droit au séjour en France où elles résident de façon irrégulière1.

Soit elles étaient demandeuses d’asile auparavant, et se sont vu refuser le statut de réfugié/la protection subsidiaire : les personnes, si elles étaient hébergées, ont alors 1 mois pour quitter leur centre d’hébergement, perdent leur allocation de demandeur d’asile et n’ont plus aucun droit au séjour sur le territoire.

Soit elles n’ont jamais fait de demande d’asile depuis leur arrivée en France. Ces personnes sont restées en France depuis quelques mois, quelques années, en se débrouillant comme elles le pouvaient.

Une personne sans papiers peut demander sa régularisation en préfecture (admission exceptionnelle au séjour), mais la procédure est fastidieuse et discrétionnaire selon sa situation et sa préfecture… Cinq années de résidence sur le territoire sont le minimum avant de pouvoir envisager une demande de régularisation si aucun autre élément n’est dans le dossier (travail, mariage ou enfant avec une personne française…).

Dans la majorité des cas, le terme sans papiers est utilisé à juste titre, uniquement pour évoquer des personnes sans papiers. Néanmoins, il est notable de signaler d’une part que l’extrême droite n’hésite pas à qualifier toute personne étrangère de sans papiers ; il faut rappeler ici que c’est le caractère irrégulier de la situation des personnes que les commentateurs souhaitent mettre en exergue. D’autre part des confusions sont fréquentes de la part de personnes peu informées, notamment de la part des journalistes (cf. Réflexions).

Exilés

Une personne exilée est une personne qui a quitté son pays, volontairement ou sous la contrainte, quelle que soit cette contrainte.

Nous pouvons retrouver ici les personnes qui quittent leur pays pour travailler en France, pour rejoindre leur famille, pour venir se faire soigner en France, pour fuir une guerre, un conflit, des persécutions en raison de leur personne/race/religion/appartenance sexuelle/opinions politiques…, les menaces de groupes terroristes, des lois iniques, etc2.

Réflexions

Les personnes demandeuses d’asile, réfugiées, bénéficiaires de la protection subsidiaire, sans papiers, sont toutes des personnes exilées.

Il peut être important, voire capital, de bien nommer le statut d’une personne pour faire valoir ses droits à un instant T et dans certaines situations. Mais lorsqu’il est question d’un groupe de personnes, comment les nommer justement ?

Les personnes qui sont en train de traverser la Turquie, la Grèce, puis les pays de l’est pour arriver jusqu’ici, sont des personnes migrantes : elles sont sur le chemin de leur migration. Il en va de même pour les personnes qui traversent l’Afrique, la Méditerranée, les montagnes des Alpes/les frontières franco-espagnoles. Ou bien encore pour les personnes qui, à Calais, tentent de traverser pour l’Angleterre. Parfois, rarement du fait de notre localisation, nous rencontrons des personnes migrantes, qui cherchent à se rendre à Paris, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre.

En revanche, des personnes qui sont installées, hébergées en centre d’accueil ou bien non hébergées d’ailleurs, qui ont demandé l’asile en France, qui l’ont obtenu, qui apprennent le français, que nous croisons chaque matin chez le boulanger, ces personnes ont terminé leur parcours migratoire. Elles ne sont plus des personnes migrantes, elles sont demandeuses d’asile ou réfugiées ou sans papiers. Pourtant, toutes, elles vont affronter des difficultés liées à leur exil : barrière de la langue, racisme, discrimination à l’embauche, déclassement à l’emploi, dépression lié au manque du pays/de la famille, problèmes de santé, scolarisation difficile, problèmes financiers, problèmes de logement, impossibilité d’accomplissement des démarches administratives…

Le 23 novembre 2020, des personnes exilées accompagnées de bénévoles associatifs occupaient la place de la République à Paris avec des tentes, pour dénoncer la non-prise en charge de leur hébergement. Parmi elles, se trouvaient des demandeurs d’asile, des réfugiés et des sans papiers.

Dès le lendemain matin, sur France Info, une journaliste revenait sur l’événement qui avait fait beaucoup de bruit et disait, lors de sa première intervention : « le commissaire, qui a fait un croche-patte à un sans papier », puis lors de sa deuxième intervention « le commissaire, qui a fait un croche-patte à un demandeur d’asile » ; plus tard dans la matinée, un autre journaliste dira « le commissaire, qui a fait un croche-patte à un réfugié ». Fichtre ! Rarement avons-nous vu quelqu’un évoluer dans son statut aussi vite que sur France Info ! En une matinée, il est passé de sans papiers à réfugié et il a une carte de résident de 10 ans. La chance. Bon, le soir même, dans la bouche d’une autre journaliste, il sera de nouveau sans papiers, l’octroi des statuts administratifs n’est pas très stable sur France Info.

Dans le doute, la majorité du public et les médias en tête, adoptent le terme migrants.

Ce que nous refusons. Tout d’abord, pour une question de justesse des termes (voir supra), toutes les personnes n’étant plus sur leur parcours migratoire. Cette question est importante : poursuivre à nommer migrant celui qui ne migre plus mais au contraire cherche à s’installer, quelle autre forme de violence et de refus de l’accueillir est-ce là ?

Ensuite, pour des raisons de sémantiques politiques. Nous ne pouvons utiliser un mot qui s’est vu dévoyer par l’extrême droite et adopter leur stratégie consistant à enfermer toutes les personnes en son sein.

Pour toutes ces raisons, nous choisissons d’employer le terme personnes exilées dès lors qu’il s’agit de parler d’un ensemble de ces personnes ou de l’une d’entre elles, sans que son statut soit nécessaire à prendre en compte dans l’échange avec notre interlocuteur.

Précisions

Il nous semble important de préciser que certain·e·s militant·e·s, plutôt que d’employer le terme personnes exilées pour toutes, préfèrent employer le mot réfugiés. C’est un choix réfléchi, basé sur la réflexion que toute personne devrait être traitée à son arrivée par la France selon les dispositions qui prévalent pour les demandeurs d’asile. Nous respectons ce choix et le comprenons, mais nous ne le partageons pas : en effet, cela repose sur la fausse utopie que toutes les personnes exilées obtiendront le statut de réfugié, ce qui est loin d’être le cas – d’autant plus qu’une bonne partie ne demandent pas l’asile et conséquemment ne risquent pas d’obtenir ce statut…

Par ailleurs, il nous paraît dangereux d’entretenir la confusion dans l’esprit du public et/ou de nos interlocuteurs alors même que ces distinctions sont loin d’être appréhendées par tout un chacun en France.

Nous accompagnons, soutenons et défendons des personnes exilées, quel que soit leur statut2.

  1. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant : nous sommes contraintes d’avancer avec la situation actuelle de notre pays et le traitement que reçoivent les personnes exilées, qu’il s’agisse de l’accueil en premier lieu, mais aussi de leur accompagnement, de la gestion de leur dossier, ou plutôt des manques en la matière. Il est évident que si ces distinctions de droits – pourtant déjà si minces – existent entre les personnes sans papiers et les autres, non seulement dans les lois, dans les faits, mais aussi dans l’esprit du grand public, il n’y en a aucune pour nous : chaque personne est bienvenue pour s’installer en France ; nous œuvrons chaque jour pour tenter de gommer au maximum ces barrières et différences.
  2. Les MNA (mineurs non accompagnés), jeunes arrivant sans la moindre famille sur le territoire français, et qui sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance de leur département jusqu’à leur majorité, font bien entendu aussi partie des personnes exilées.

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